Profondément originale dans sa conception comme dans son écriture, cette enquête historique est une réflexion exemplaire sur les silences du passé. Lire la suite
Exception en Europe, un État allié du Reich a refusé de déporter sa communauté juive. Cette image de la Bulgarie pendant la seconde guerre mondiale a prévalu jusque récemment, quitte à omettre que, dans les territoires de la Yougoslavie et de la Grèce occupés par ce pays entre 1941 et 1944, la quasi-totalité des Juifs ont été raflés, convoyés vers la Pologne et exterminés.
Au terme d'une vaste enquête documentaire et archivistique, Nadège Ragaru reconstitue l’origine de ce qui a longtemps été tenu pour un socle de faits vrais parce que largement crus. Elle explique pourquoi une seule facette d’un passé complexe et contradictoire a fait l’objet d’une transmission prioritaire ; comment les déportations, sans être oblitérées, sont devenues secondaires dans les discours publics, les musées, les livres d’histoire et les arts ; comment la mise en écriture des persécutions contre les Juifs en Bulgarie s’est retrouvée l’otage de la guerre froide puis des luttes politiques et mémorielles de l’après-communisme dans les Balkans et le reste du monde.
Profondément originale dans sa conception comme dans son écriture, cette enquête historique est une réflexion exemplaire sur les silences du passé.
Introduction
Du « sauvetage des Juifs bulgares » et de l'exceptionnalité nationale : l’énigme d’un sens commun
Savoirs de la justice, de la fiction et de la controverse : des fragments sans dévoilement
Les contours spatio-temporels de l’enquête : pointillés, hachures et manques
Les nationalisations du passé par internationalisation : voix juives et non juives
Une sociologie historique de la guerre froide : mobilités, heurts et contingences
Chapitre 1 – La production judiciaire d’un récit des persécutions antijuives : la genèse d’une narration héroïque
Juger en temps de guerre : les missions contradictoires de la justice
L’(in)visibilisation des crimes antijuifs dans les « procès généraux »
La construction d’une cause judiciaire par les Juifs communistes bulgares
Le dessin de la scène judiciaire : les inculpés, les procureurs et la cour
Salle 11. Instantané
Les Allemands, les fascistes et le « bon peuple » : dessiner le périmètre de la culpabilité
Un fasciste est un antisémite... et réciproquement
L’euphémisation de la souffrance juive, produit du conflit entre communistes et sionistes ?
La postérité du tribunal : une élision centrale
Chapitre 2 – La déportation des Juifs du Belomorie à l’écran : négocier une lecture « socialiste » de la guerre
Édifier les masses en Bulgarie et en RDA : des cinémas politiques à armes inégales
Les présences élusives de la Shoah sur les écrans est-allemands et bulgares
Une coproduction, deux institutions, plusieurs agendas
Konrad Wolf et Angel Wagenstein : deux parcours croisés
Notes de tournage et autres digressions
Script, story-board et film : les effets de coupe et de cadrage
Deux guerres si différentes : le combat antifasciste et la résistance vus depuis la Bulgarie
Négocier une lecture est-est du nazisme : une germanité polychrome ?
Des destinées juives en mode mineur
La passivité juive, une affaire de genre ?
Des signes chrétiens pour une souffrance juive ? L’émergence d’un répertoire global
Chapitre 3 – La déportation des Juifs des territoires occupés : les mystérieux voyages d’une archive de 1943
Apposer des mots sur des images qui font silence : le jeu des inventaires archivistiques
Un film sans auteur et sans consigne ?
On n’y voit rien : regarder des cadres qui résistent à l’analyse
Du document à la production d’une preuve judiciaire : l’affaire Beckerle
La coopération judiciaire bulgaro-israélo-américano-ouest-allemande, un récit de guerre froide
Un documentaire sur l’affaire Beckerle ? Au croisement des arts et du renseignement
La diplomatie culturelle du « sauvetage des Juifs bulgares »
Quand le « sauvetage » passe à l’Ouest
Où tombe le rideau de fer ? Sofia-Washington-Jérusalem, les arts de la rareté et du désir
Chapitre 4 – Négocier une juste présence du « sauvetage » et des déportations : les controverses mémorielles de l’après-1989
La polyphonie retrouvée du passé : de l’OKPOE à Shalom, des vérités en (in)division
Quand l’histoire s’expose sur la scène médiatique
Qui écrira notre passé ? La renégociation des territoires du récit historique bulgare
Heurts de mots et de pierres dans les communautés juives originaires des Balkans
L’« affaire Blagovest Sendov » : la « forêt bulgare » dans le champ politique interne
Dimitar Pesev : une nouvelle topographie du souvenir
Chapitre 5 – Des disputes fécondes ? Mobilisations transnationales et institutionnalisation d’un espace de dissensus
Universitaires, experts et militants dans les recompositions du champ historiographique
Aux origines des controverses bulgaro-macédoniennes sur la Shoah
Les enjeux historiques et mémoriels saisis par les institutions européennes
Jeux d’échelle, jeux de quilles : la politique historique bulgare en débat
Se souvenir de la Shoah pour lutter contre l’antisémitisme : un espace de convergence ?
« Éclairer d’une lumière plus forte le chemin du futur » : sous le projecteur de l’intégration euro-atlantique
Conclusion
Contentieux historiographiques
Parler de la Shoah, c’est-à-dire d’autre chose
Voix juives dans l’écriture du passé
Défis d’écriture : feuilleter le temps, dire le vu
Annexe
Remerciements
Table des documents
Sources
Bibliographie sélective